Thursday, July 8, 2010

Lullaby for Pi, de Benoît Philippon

J'ai toujours l'impression que je ne dis pas exactement ce que je ressens, tout en le disant un peu; et que mon style est ampoulé comme un pied dans une basket trop étroite. M'enfin voilà, ne m'en veux pas!


Musicien sans le sou, Sam vit dans sa chambre d'hôtel, conquis par la tranquillité de l'endroit, apprivoisé par la bonhomie de Georges, le patron, standardiste, peu à peu ami. Sam passe ses soirées à revoir le même vieux film en noir et blanc, ses nuits dans les bars, à jouer du piano. Lors d'une paisible fin de journée, Joséphine, qui porte le prénom de "l'héroïne" de Some likes it hot, débarque en trombe dans sa vie et dans sa chambre, en sanglotant. Leur amour naît de cette nuit, se construit dans leur travail commun de jour, dans une petite librairie qui propose disques et livres, grandit dans leur appartement commun où Sam compose la musique qu'il joue le soir pour Joséphine. La disparition subite de Joséphine met un terme brutal à cette existence idyllique. Depuis, plus de musique pour Sam; la librairie, gagnée par sa morosité, perd ses clients, et Sam attend dans sa chambre d'hôtel, conservée telle un bocal de souvenirs, le coup de fil d'une amour morte. Coup du destin ou coup monté de Georges, Pi déboule un soir dans la pièce, claquant la porte au nez d'un amant éconduit. L'inconnu part, Pi reste. Elle dans la salle de bain, Sam dans la chambre, ils se découvrent: il fredonne, elle écoute, le relance. Ils discutent, en viennent à jouer aux cartes, à dîner aux chandelles, à travers une porte close. Lorsqu'il s'endort, Pi s'en va, semant des polaroids. Elle revient le soir, évitant le jeune homme, s'enferme, et leurs nuits recommencent. Un quotidien, entre deux presque inconnus, s'installe, et l'amour semble reprendre ses droits.



Il est des films qui en disent long sur leur créateur; dans lesquels ce dernier place tout son cœur, s'investit en entier. Peut-être est-ce à chaque fois la même plongée dans l'œuvre; et connaître, un peu, le réalisateur, fait réaliser au spectateur, qu'un film est une chose tout personnelle livrée en pâture au public. Des morceaux d'âme de celui, à l'origine d'un film, qui l'a porté comme un enfant, mis au monde avec toute une équipe et élevé en public, transparaissent. Cela devient évident lorsqu'on connaît le géniteur du film; et on se dit que l'évidence est sous nos yeux, et la paternité indéniable. Des détails fourmillent, et on redécouvre avec émotion quelqu'un que l'on connaît un peu. Et si on apprécie le réalisateur, comment ne pas apprécier son œuvre? Tout me parle: les références cinématographiques (Some likes it hot, LE film que j'ai vu plus de dix fois), une ambiance de film noir, une musique enlevée (le jazz, omniprésent), le mélange de communauté et leur tolérance, à travers l'art (la musique, toujours, la littérature), une jolie femme qui joue malicieusement les figurantes, une explosion de mots, de couleurs. Un discours, par dessus tout, sensible; et un univers unique, transfiguré par une maîtrise qui fait plaisir aux yeux.


Le film sortira normalement en décembre 2010. Je rappellerai évidemment la date quand elle sera officiellement annoncée, et je m'engage à ne pas spoiler du tout jusque là. C'est pourquoi cette "critique" ressemble plus à un billet d'humeur qu'à un avis détaillé sur le film. Ce n'est pas plus mal finalement, je m'engage sur d'autres chemins. L'image du film, pour ceux qui sont habitués à voir du Jean-Pierre Jeunet, rappellera quelque chose d'un peu tendre, nostalgique, par ses couleurs surréalistes parfois. Le directeur de la photographie est en effet Michel Amathieu. Les couleurs mettent de la mélancolie dans le scénario. On y parle de coeurs brisés, et dont les morceaux se recollent, d'histoires individuelles qui s'entrecroisent et de personnages qui s'entraident, pour ne former qu'un seul récit. On y apprend que chacun est bien seul, mais qu'ajouter des solitudes, et si l'alchimie fonctionne, ça peut faire une jolie somme. On s'égare un peu parfois; le réalisateur, à en avoir plein le bulbe d'aventures à raconter, saute de l'une à l'autre et perd un peu ses personnages principaux; les histoires des autres, si elles ne servent pas directement la relation qui se noue entre Pi et Sam, devraient être laissées aux fantasmes du spectateur. Les secrets sont faits pour être gardés, et stimuler l'imagination. Mais on s'attache, tout de même, à toutes ces âmes esseulées. Là où le personnage secondaire est réussi à la perfection, c'est dans l'hôtel où se réfugient Sam et ses souvenirs.


Derrière un comptoir, Georges tire les ficelles du destin. La performance est dans le scénario, écrite, déjà. Elle est encore soulignée par le formidable acteur qu'est Forest Whitaker. Une pointure comme celle-ci, c'est un ange gardien autant pour un jeune réalisateur que pour un personnage qui débute, lui, dans le cruel jeu de l'amour. Le type est un gros black qui a joué les crapules, et avec pour des légendes; il sait se faire discret, désopilant, et juste pousser d'un doigt la fortune. Sacré rôle, pour un sacré acteur. Rupert Friend, lui, balade son regard sombre, un peu trop sombre, sur sa vie décomposée, confondant mélancolie et cafard. Sa noirceur est complètement éclipsée par une Clémence Poésy toute fragile, spontanée, vibrante. Planquée derrière ses longs cheveux, ses vêtements un peu grands sur le dos, des écharpes qui traînent par terre, elle dissimule ses appréhensions. L'actrice de talent, elle sert son personnage, qui se planque carrément dans des pièces fermées et s'échappe à l'intérieur de sa tête, à l'intérieur de son appartement, pour elle seule, avec des mots et des couleurs. De l'extérieur, elle est bien frêle; pour les autres, elle pourrait paraître fade; mais lorsqu'elle explose, elle s'illumine. Et cette histoire de confiance durement donnée, difficilement acquise par un type qui n'a pas grand chose à perdre, est joliment racontée, avec une sensibilité que les sexistes qualifieraient de féminine.

Benoît Philippon expose au public une immense sensibilité artistique, et touche au cœur le spectateur. Il aura encore fort à raconter à l'avenir, comptez sur lui.



Lullaby for Pi
de Benoît Philippon
avec Rupert Friend, Clémence Poésy, Forest Whitaker,...
sortie française: décembre 2010

5 comments:

Trey said...

J'ai regardé la bande-annonce et les 4 extraits actuellment en ligne et ce film m'intéresse beaucoup !
J'irais le voir assurément et espère qu'il ne sera pas trop écrasé par les blockbusters qui arrivent en cette fin d'année (Harry Potter7 et Narnia 3).

Fanny B. said...

J'ose espérer que Lullaby n'aura pas le même public que HP7 ou Narnia... Je ne saurais que trop vous engager tous à soutenir un premier long-métrage le 1er décembre!

Je compte sur toi, Trey ;-)

S. said...

Hey bonsoir tout le monde, j'ai absolument envie de voir ce film mais je ne trouve aucune date de sortie prévue pour la belgique... N'en sauriez vous pas plus par hasard?

Thanks!

Fanny B. said...

Bonsoir! Je me renseigne auprès du réalisateur pour une sortie belge, je vous tiens au courant ;)

S. said...

C'est super gentil!
J'attends de vos nouvelles! :D