Monday, October 4, 2010

Les amours imaginaires, de Xavier Dolan

Je ne suis pas certaine qu'il y ait vraiment une histoire qui domine dans Les amours imaginaires, mais je vais néanmoins tenter de résumer ce qui tient lieu de fil conducteur. Francis et Marie, deux bons amis, tombent tous les deux sous le charme de Nicolas. Puisant de la force dans l'autre, ils tentent une approche commune, et le trio jouit alors d'une jolie amitié, teintée de jalousie de la part de Francis ou de Marie dès que l'un semble plus proche de Nicolas que l'autre. Innocemment, le joli Nicolas semblent jouer avec leurs cœurs. 


Entrecoupé de témoignages - vrais? faux? - d'hommes et de femmes déçus par l'amour, Les amours imaginaires ne ressemble pas à un film. C'est un ovni, une réflexion ironique magnifiquement imagée, très loin de la construction classique présentation/bouleversement/développement/conclusion. La forme même des Amours imaginaires est originale. Le film, si on l'analyse, se séquence en parties, chacune entrecoupée des interviews. Chaque partie est elle-même composée de micro-scènes qui alternent saynètes de vie triangulaire, filmées caméra à l'épaule, et vision onirique en slow-motion, accompagnée de la voix enchanteresse de Dalida - oui, Dalida messieurs-dames, oui, enchanteresse. Ce n'est pas évident dit comme ça, mais la redondance de Bang Bang m'autorise cette envolée lyrique. Xavier Dolan, après seulement un film, que je n'ai pas vu - erreur à réparer très vite -, se place déjà comme un artiste à part entière, et pas seulement jeune réalisateur. Il est aussi créateur de costumes, producteur, monteur, acteur, scénariste - dans le désordre. Le garçon a donc un grand besoin d'expression.


Maintenant qu'on a bien décortiqué la forme, on peut se laisser subjuguer par le fond. Et c'est très facile, tant les cadres sont emplis d'émotion. Xavier Dolan joue beaucoup sur les plans très rapprochés, perfectionnant les poses et les expressions des visages; et la partie la plus vide du cadre est toujours joliment composée. Les saynètes qui font avancer l'action montrent le quotidien de Francis, de Marie, leurs excursions joyeuses avec Nicolas. Ces instants emplis de banalité sont pourtant les plus heureux des deux jeunes gens, qui se sentent alors si proches de leur amoureux platonique. La composition des cadres intensifie leurs sentiments, qu'ils soient dominés par un absurde bonheur - puisque, on le voit bien, Nicolas n'éprouve pas autre chose que de l'amitié - ou par une jalousie mordante. Tout au long du film, Marie semble avoir les préférences de Nicolas, et Francis s'en mord les doigts, tentant de faire bonne figure; puis Francis vole quelques instants, et Marie lui déclare la guerre. La caméra à l'épaule joue évidemment sur son aspect réaliste. Je déteste la caméra à l'épaule. Mais celle de Xavier Dolan est volontairement instable, et jamais le cadre ne se décompose à cause d'elle. Rendus encore plus éloquents, leurs sentiments non partagés s'étendent en longues secondes badigeonnées de musique, lors de longues scènes au ralenti. Ironiquement, ces scènes évoquent l'imagerie de deux amants qui courent sur une plage pour se retrouver, devant un coucher de soleil infiniment long... Traditionnellement en slow motion, cette scène se termine par la réunion des deux êtres qui s'enlacent. Évidemment, il n'en est rien pour Marie ou pour Francis.


Les deux acteurs - dont l'un n'est autre que Xavier Dolan - ont le chic pour réussir à exprimer un incommensurable bonheur sur leur visage. Leurs sourires s'épanouissent à chaque entrée de Nicolas, leurs voix bredouillent, leurs gestes s'emmêlent. Incapables de dissimuler leur émoi, leurs personnalités assez semblables s'évaporent pour laisser la place à une niaiserie drôlissime. Car le réalisateur profite de ces situations pour placer ses personnages devant l'incongruité de leur démarche. Ils tentent le flirt, se le reprochent, vont tout de même au bout, et finissent déconfits. Francis a alors pour habitude de laisser libre cours à son dégoût de lui-même, tandis que Marie s'insulte dans le miroir. Les amours imaginaires se moque gentiment des amoureux éplorés, et loin d'être une tragédie, devient comique. Le réalisateur exagère aussi à merveille l'ange Nicolas, perpétuellement caché derrière ses boucles blondes, au sourire immense. Chaque plan sur son visage le montre tel un diable enchanteur, tel que le voient Francis et Marie. Le jeune acteur est joli garçon, genre de Louis Garrel en plus propre et en blond, ressemblance sur laquelle joue avec beaucoup humour Xavier Dolan.


Les témoignages font aussi partie du comique. Il y a trois ou quatre personnes interviewées, toutes différentes, et racontant des expériences variables. Bizarrement, après que j'en eu parlé avec d'autres personnages ayant vu le film, une jeune fille a particulièrement marqué les esprits. Son histoire est celle d'une fille 2.0, qui communique - ou pas -, par mail, et vit dans l'attente d'un nouveau message électronique. Ces histoires malheureuses, ces espoirs sans fondement contés par des anonymes, structurent le film, presque chimérique, de leur pseudo-vérité. Bon, il faut bien avouer que le langage québécois de ces interviews sont plus "naturelles" que les moments de jeu, prend part au comique de ces monologues. Ah oui, car Xavier Dolan vient du Québec, et l'accent à couper au couteau de ses personnages, ainsi que les expressions locales demandent parfois à être sous-titrées.


Il y a d'autres scènes récurrentes dans le film, ce sont ceux des "baises" - les personnages y intervenant sont ainsi nommés dans le générique de fin - que vivent parfois, pour se changer les idées et se vider le sexe, Francis ou Marie. Ces scènes sont tournées dans des monochromes stylisés, de plein front, dans le lit des amants d'un soir. C'est là, après l'amour, que Francis et Marie laissent tomber les façades, et dévoilent sans pudeur leurs espoirs, leurs déceptions. C'est encore une trouvaille géniale du réalisateur, qui en profite pour filmer la tendresse au beau milieu d'un coup d'une nuit.


Les amours imaginaires est une expérience à vivre, qui n'a rien à voir avec un film, et qui est pourtant bel et bien du très joli cinéma. Le festival de Cannes ne s'y est cette fois-ci pas trompé, couronnant le film du prix Regard Jeune et le nominant dans la catégorie Un certain regard.



Les amours imaginaires
de Xavier Dolan
avec Mona Chokri, Xavier Dolan, Niels Schneider,...
sortie française: 29 septembre 2010

6 comments:

Stéphanie L. said...

Bien belle critique que nous avons là! Vite vite vite il faut que je prenne le temps d'y aller.
Concernant leur accent à couper au couteau, on est d'accord déjà dans "J'ai tué ma mère" j'ai du revenir en arrière (valeur ajoutée du DVD) pour tenter de comprendre la discussion.

Merci Fanny!

Fanny B. said...

Voui, c'est à voir!!
Tu as le DVD de J'ai tué ma mère? Faut que je le vois!!

Anonymous said...

D'accord pour la forme, le film est très beau, la mise en scène très inventive, ce qui transparaissait déjà dans son premier film. Le fond pour moi n'est qu'un prétexte.
Xavier Dolan se plait à suivre ce trio improbable où trois jeunes gens approchants la trentaine couchent dans le même lit en toute chasteté!
C'est tout de même extrêmement naïf..!

Quant aux vrais sentiments de Nicolas ils restent très vagues; je n'affirmerais pas comme toi qu'il n'y voit là que de l'amitié.
Pour moi ce film s'apparente plus à une sorte de "conte"; je pense qu'il aurait gagné à être plus encré dans notre époque.. (Anne)

Fanny B. said...

Pour moi, tout le film montre les fantasmes de Francis et de Marie. Ptêtre même que ces chastes nuits ne se passent pas dans le même lit, mais que Francis et Marie dorment sur un canapé après une soirée arrosée... Tu veux du sexe partout Anne, coquine ;)

Les vrais sentiments de Nicolas: je suis à peu près sûre qu'il est bien innocent.
ALERTE SPOIL
Il pense que Marie est homo, et il est sûr de ne pas l'être; il pense donc que Marie n'est pas attirée par lui, et que Francis n'envisage pas non plus de coucher avec lui! Et il est déçu par les propositions de chacun...

Anonymous said...

Euh...quelles propositions?
Ils n'en font jamais aucune...et d'ailleurs Francis et Marie sont censés être amis et ne se parlent jamais vraiment de ce qu'ils sont en train de vivre...!

Bon. Peut-être faut-il imaginer l'histoire, imaginer ce que les personnages imaginent..

Bref, pour moi il y a une grande inégalité entre la forme de ce film, son esthétisme; et son propos, un peu simplet et improbable..Xavier Dolan aurait dû nous faire cotoyer de vrais êtres humains et non des sortes d'"icones" auxquelles on a du mal à s'identifier..seul Francis parait quelquefois plus proche de la réalité, plus humain..

Fanny B. said...

ALERTE SPOIL
Si, à la fin, ils font chacun leur déclaration finalement... Ce à quoi Nicolas répond à l'un "comment as tu pu imaginer que j'étais gay?" et à l'autre "j'ai quelque chose sur le feu là... salut".

Et je trouve que les personnages se parlent au début, ils se disent chacun que Nicolas leur plaît, Francis commence par laisser sympathiquement Marie seule avec lui (au théâtre), sans pouvoir s'empêcher néanmoins d'être là à la fin de la soirée... Et quand il voit qu'elle n'arrive à rien, c'est son tour de se lancer (l'affiche Audrey Hepburn par exemple), et peu à peu, évidemment, la jalousie l'emportant, ils ne se parlent plus trop...

L'histoire, cependant, est simple en effet (le terme simpliste est juste un peu péjoratif ;) C'est celle de deux amis qui draguent la même personne, sans retour; leur jalousie les éloigne un moment, et ils finissent par être réunis par le même rejet de la personne aimée.

Après, tout cela est raconté de manière assez onirique, pas forcément très réaliste; mais j'ai assez accroché à ce second degré, adoré les sourires béats de Marie et de Francis au moindre geste de Nicolas, interprété à tort comme un geste d'amour...