Wednesday, January 2, 2013

L'odyssée de Pi, d'Ang Lee

Un écrivain américain, en panne d'inspiration, rencontre et écoute l'histoire de Pi Patel. Indien installé au Canada, il a vécu une aventure rocambolesque qui vaut la peine d'être écrite. A l'époque, personne ne l'avait cru: encore adolescent, il a effectivement été le seul survivant d'un naufrage dans lequel sa famille a péri, et lui-même a survécu durant des jours et des jours sur un canot de sauvetage, avec pour seul compagnon le tigre du zoo que sa famille déménageait alors, de Pondichéry à Montréal.


Je pense que tout le monde a déjà vu, lu, entendu, tout ce qu'on peut raconter de bon sur L'odyssée de Pi. Ces compliments ne sont pas volés. Le film nous emporte avec énormément de poésie en pleine mer, dans un tête à tête étrange entre un enfant et un tigre féroce. Sur leur route, des baleines, des dauphins, des poissons volants, mais aussi des suricates ou une île mystérieuse et carnivore. C'est une sacrée dose de rêve qu'on nous offre, et Ang Lee laisse parler la nature sans en rajouter trop dans le côté féérique, qui n'a pas besoin d'être étoffé.


L'aventure de Pi n'est cependant pas une partie de plaisir. La sauvagerie de son compagnon l'oblige à devenir ingénieux, pour mettre ses réserves de nourriture à l'abri, tout en évitant de devenir lui-même un garde-manger. Sur le canot de sauvetage, Pi trouve à peu près tout ce qu'il lui faut pour tenir le coup. Reste que peu de choses ont été prévues en cas de cohabitation avec un animal carnassier. Le tigre, nommé Richard Parker, a aussi une influence positive. Il aide Pi à se maintenir en alerte, lui offre une sorte d'écoute attentive. Pi ne survit pas seulement pour lui-même, mais aussi pour Richard Parker. La solitude est une menace aussi grande que l'immensité vide de la mer, que les tempêtes et les requins, que les crocs du tigre.


Pour pleinement comprendre le malheur qui s'abat sur Pi, et notamment l'état d'esprit dans lequel il se trouve lors du voyage vers Montréal, une première partie du film résume la vie à Pondichéry du tout jeune Piscine Molitor Patel. Pour sauter rapidement d'un point important à l'autre, on effectue de nombreux allers et retours entre ce passé en Inde et le présent au Canada. Certes, il faut poser le décor. Mais cette partie prend trop de place et retarde le moment où on va enfin balancer dans l'histoire. Elle a toutefois le mérite de poser une question inhabituelle, celle de la religion, de manière extrêmement explicite. Je déplore qu'on souligne lourdement les choses, pour expliquer l'histoire au spectateur, mais cette question du religieux est suffisamment surprenante pour que Pi en fasse des tonnes. Le message passé, celui, bien sûr, du respect de tous, de toutes les croyances, de la cohabitation heureuse des religions, est convenu. Mais le fait même d'évoquer aussi ouvertement le sujet est surprenant, pour un film aussi grand public.


La cible, voilà toujours le défaut. Il semblerait qu'il faut tenir la masse par la main. Du coup, à la fin de la première partie, l'écrivain face au syndrome de la page blanche, le prétexte à la plongée dans le passé de Pi, conclue sans détour "le décor est posé. Maintenant, que se passe-t-il? L'histoire peut débuter". Merci, Monsieur l'écrivain, de faire une telle relance! Attention spectateur, accroche-toi à ton fauteuil, tu vas partir en mer! Cette justification débile de la mise en place de l'histoire, ne sert qu'à nous mettre à distance de l'action. Heureusement, les allers/retours cessent enfin dès que le cargo prend la mer, direction Montréal. On n'y revient que mieux à la fin du film, alors que Pi et l'écrivain décodent, comme une légende, les symboles de l'histoire... et nous en donnent la version alternative.


Fichez-moi donc la paix! Si je veux être embarquée dans l'histoire, je n'ai pas besoin qu'on m'en donne les clés! Le spectateur prendra la légende, ou cherchera dans son esprit à la mettre en doute, se demandera ce qu'elle cache... ou pas. Mais le prémâchage de toute réflexion fait malheureusement du film, après une belle et fantastique excursion en pleine mer, une bouillie hideuse.


L'odyssée de Pi
d'Ang Lee
avec: Suraj Sharma, Irrfan Khan, Rafe Spall,...
sortie française: 19 décembre 2012

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